« Utopie réaliste » comme Christian affectionné de qualifier La Maison des enfants au pays qu’il a fondé, lui et quelques autres, voilà bientôt 40 ans.
L’utopie, c’est le « non-lieu ». Au non-lieu, Christian, avec sa détermination, y a substitué une « maison », bien réelle celle-là, et avec le plus joli mot pour parler d’un espace habitable, pour ceux qui, d’habiter le langage et donc leur corps, n’est pas donné d’emblée. Ce faisant, il a posé une question fondamentale, à savoir quel sort une collectivité, un pays réserve-t-il à ceux qui par leur forme de vie objecte au lien social ? Le degré de civilisation d’une société ne se juge-t-il pas à la façon dont elle traite ses rebuts ?
Et Christian n’a pas manqué de rappeler combien cette question, par sa portée universelle, ne devait pas se cantonner à quelques spécialistes, mais devait se poser à tout un chacun, pour qu’elle ne soit pas un nouvel avatar de la ségrégation, question qu’il a portée jusqu’à l’Élysée en y emmenant ses enfants, au titre d’expérience « pionnière de l’inclusion ».
Christian a assuré la direction et semblait d’emblée inscrit dans une perspective, « dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit », en quittant l’institution comme il s’y était engagé, au terme de 10 ans, pour poursuivre son œuvre, vers d’autres « utopies réalistes ». C’est dire la constance d’un désir de fondation et de transmission, au sens de « faire passer », « léguer », transmettre sans retenir, forme authentique du don, en s’affranchissant du fantasme du père qui voudrait garder la main sur son œuvre. J’y aperçois une sorte d’acte, enseignant pour notre travail au quotidien auprès de ses enfants et leurs familles, comme combat contre l’aliénation et projet d’émancipation.
Cette fonction de « passeur », a fait des émules et j’en témoigne aujourd’hui à ta suite, et de celles d’autres avant moi, en tant que directeur d’une institution à nul autre pareil, qui reprendra bientôt pied au centre du village de Poligné. Le projet des Enfants au pays garde à ce jour toute sa force. Réunis il y a peu, le collectif qui y travaille rappeler unanimement l’actualité et la rigueur de ce projet, qui n’a pas pris une ride, ou si peu. Bien entendu, la texture du lien social qui a présidé à cette institution a fortement changé. Aux « artisans » bénévoles, habitants de la commune et familles d’accueil qui ont contribué à inscrire ces enfants et le pays dans un lien social duquel ils étaient préalablement exclus, se sont substitué les « artistes », ces artisans de toujours, des associations, des lieux ludiques et de socialisation. Les enfants du pays sont à l’écran, au cinéma, dans le café associatif du village, sur les ondes radio, dans les FABLAB, dans les associations sportives et culturelles, dans des festivals, dans des bandes dessinées, mais aussi toujours chez le Boulanger et l’agriculteur du coin.
Ceux qui œuvrent quotidiennement à l’accueil de ces enfants et leurs familles, les éducateurs, comme Christian, mais aussi l’ensemble des professionnels, s’emploie à répondre de façon inventive, responsable de leur désirs et de leurs pratiques, en considérant le symptôme, quelque soit sa forme, comme une première réponse salutaire, un début de solution qu’il s’agira de « faire grandir ». C’est ainsi qu’un de nos jeunes, à l’annonce de la mort du fondateur de l’institution, répondait de la fonction qu’avait ce lieu pour lui. « Faire grandir », aider des enfants et leurs familles à se relever, les porter à la dignité, n’est-ce pas là le point de conjonction entre ceux que nous leur voulons et la joie que nous trouvons dans notre travail ? Faire grandir l’éducateur comme l’enfant, au sens d’agrandir l’espace des questions que pose cette rencontre toujours à refaire et conséquemment des réponses, pluriels, toujours singulières, d’une inscription possible et humanisée dans le lien social.
Merci à toi Christian, au nom des collègues, à ceux qui ont rencontré ton chemin et à ceux qui ont poursuivi ton cheminement de nous avoir légué, à l’aube du 40ème anniversaire des Enfants au pays, le sel d’une expérience toujours vivante. « Vive la quarantAIME », voilà le dernier message reçu de toi ! Nous serons au rendez-vous d’ici un an, sous ce titre, à l’occasion d’une journée de travail en ton hommage avec ceux qui souhaiteront témoigner de cette expérience et de sa poursuite.
Charles CULLARD, directeur, le 05/12/2022